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17/01/2013

Préambule

Préambule

0.jpg- Bonjour. "Vengeance au futur antérieur", titre assez bizarre. Non ? Le temps a-t-il une telle importance dans votre histoire ? Le premier chapitre ne reflète pas une hypothèse future à propos d'un événement déjà passé ?

- (Rires) Je vois que vous avez revu votre conjugaison française et ce qu'est le futur antérieur. Pourtant, c'est exactement cela. Si mon roman est une pure fiction dans le futur, avec des personnages fictifs, ce qui va se passer dans mon histoire pourrait être une suite logique à une extrapolation faite dans le passé et qui n'a pas porté ses fruits dans le cadre de la recherche scientifique. Mon histoire se greffe dans l'actualité comme intermédiaire pour lui donner plus d'impact et aussi parce que la situation actuelle est propice à des déviances. Comme l'écrivait récemment Bernard Weber dans l'avertissement de son nouveau roman "Troisième humanité", "cette histoire se déroule dans un temps relatif et non absolu. Elle se passerait dix ans, jour pour jour, après l'instant où vous ouvrirez ce roman et commencerez à lire" écrit-il.

- L'actualité ne serait qu'un atout, une facilité pour le lecteur et un jeu de relativité pour vous ?

- Exactement. Vous avez raison. De la perception du temps, j'en avais déjà parlé. Le temps est une variable assez bizarre. Actuellement sortent des documentaires sur la "Magie du Cosmos" qui vous en boucherait plus qu'un coin. Dans cette histoire, Nous nous trouvons, ici, dans le secteur de la pharmacie mais cela pourrait se produire dans n'importe quelle activité humaine qui a une influence au niveau mondial. Bernard Weber, pour en revenir à lui, continuait son livre en se posant des questions plus philosophiques. "Il a un projet à céder à quelques personnes imaginatives et pas trop craintives, mais il s'inquiète.  Même nombreuses, elles pourraient être maladroites avec une capacité de nuisance sans même s'en rendre compte. D'où la question : Les humains peuvent-ils évoluer ?". Cette question cruciale vient à l'esprit dans cette période charnière qui est la nôtre. Un projet du passé installe des obligations dans le futur. Or, il s'avère que l'on arrive vite à constater une incapacité d'atteindre les objectifs fixés. Ce qui peut tourner au drame dans le présent.

- Vous nous baladez dans le temps, en quelques sortes ? Vous faites de l'anticipation, de la prospection ?

- Pas vraiment. De l'anticipation imaginative, peut-être. Dans mon cas précis, la déviance, dont je parle, commencerait dès qu'une entreprise se doit de guérir ses contemporains, qui n'y arriverait pas et qui se continuerait par des extrapolations plus que douteuses. La flèche du temps sera seulement perturbée pour les héros du livre.

- Nous sommes, donc, dans le domaine médical ? 

- En partie, oui. Le médical joue un rôle comme partie intéressée, mais ce n'est pas ce milieu-là qui sera évoqué, lui qui est lié par le serment d'Hippocrate.

- Pourriez-vous nous en donner quelques bribes de l'histoire sans la dévoiler ? Vous m'inquiétez.

- Je vais essayer. Cela se passe à San Francisco.... 

- Tiens, pourquoi à San Francisco et pas dans nos pays européens, dans votre pays ? Il y a ces derniers temps beaucoup d'histoires traduites de l'américain qui s'y passent et qui ont du succès comme thriller. Est-ce pour suivre la même voie ?

- Vous vous souvenez de la chanson de Maxime Le Forestier "San Francisco". Une ville qui fait rêver et que j'ai aimé pour son côté plus européen et où tous les tabous s'effondrent. Une ville que j'ai visité. C'est un choix plus partial, donc. Beaucoup de choses ont pour origine les États-Unis où tout, en principe, est possible. Pour sa "maison bleue" de Maxime Le Forestier.  Mais même là-bas tout n'est pas rose actuellement. D'où mon envie de casser les préjugés que l'on peut avoir sur les Américains. Qui dit États-Unis, fait penser à des gens qui sont connus pour aimer l'argent. Mon histoire précédente avait pour cadre l'Europe, en grande partie dans le midi de la France. Un thriller. Nous y sommes à nouveau dans ce style d'intrigue avec un quidam pas vraiment riche, pas vraiment pauvre qui ne pensait pas avoir à se mêler d'affaires qui le dépassaient. Une classe moyenne qui vit bien mais qui n'a pas eu plusieurs générations pour arriver là où elle est arrivée. Le héros de l'histoire va se sentir entraîné dans l'histoire, contraint de proche en proche dans cette ville qui ressemble, si vous ne le savez pas, le plus à l'Europe. San Francisco est en Californie mais cette ville ne ressemble pas du tout à Los Angeles, par contre. Si vous voulez en connaître plus sur les Etats-Unis allez lire les livres de Douglas Kennedy, l'Américain le plus aimé des Français. 

- L'argent ne joue pas un jeu dans votre histoire ?

- Bien sûr, qu'il joue un rôle, même à tous les niveaux. Mais mon histoire n'a pas l'argent comme sujet principal et puis, mes héros ne sont pas des magnats de la finance.

- J'ai survolé le premier chapitre. Votre héros est inquiet. Vous vouliez parler de ce problème, de la crise ? 

- Un peu, oui. Elle est éternelle et universelle, celle-là. Il a ce qu'on appelle pudiquement un peu de bouteille, au milieu de carrière, mais vous verrez que ce qui en découlera, va se retrouver ailleurs. Ses prévisions et ses craintes vis-à-vis de la crise, ne seront pas celles que l'on pense.

- Votre héros se sent stressé à cause de cela ?

- Très certainement. Une autre référence, le livre fiction de Marc Lévy, "Si c'était à refaire", le personnage principal de son livre est soudainement agressé, blessé et tué. Il reprend connaissance deux mois plus tôt, avant son agression. À compter de cette minute, il a soixante jours pour découvrir son assassin, soixante jours pour déjouer le destin. Ce canevas, je l'ai suivi en partie, sans m'en rendre compte, puisque je n'avais pas lu le bouquin. Mais, il s'agit, ici, d'une malversation. Mon héros, un délégué médical, se sent mal dans sa peau depuis quelques temps. Son couple bat de l'aile et il va lui arriver quelques bricoles qui vont changer sa vie. Chargé de missions banales et coutumières, ce qui le torturait va le changer en intermédiaire, en justicier. Question légitime "pour quelle raison ?" se transforme-t-il ainsi. Un instinct de faire partie de ce monde dangereux ? Une vengeance qui va l'obliger à découvrir ses "liquidateurs" pour les confondre. Cela va tourner à l'obsession. Les problèmes de sa société qui l’emploie, il les connaît à peine, mais il les devine. Voilà ce que je peux déjà vous dire. Je ne vais pas vous mettre complètement au parfum.  

- Donc, c'est une histoire sur la recherche pharmaceutique ?

- Oui. L'histoire aurait pu s'appeler "l'automne de l'éléphant", comme j'ai pensé l'appelée au départ, car les éléphants comme chacun sait, cela trompe énormément (sourires). Ce qui se rapproche le plus a déjà été évoqué dans le film "Le fugitif". Mais, je ne vous en dis pas plus. Je vous demande de passer au premier épisode. Les autres chapitres vont suivre à un rythme soutenu tous les quatre jours. Juste ce qu'il faut pour que vous ne perdiez pas la mémoire et le fil de l'histoire et pas trop long pour ne pas vous endormir à cause du temps que l'on partage dans le présent et le futur. (rires)

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15:24 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

16/01/2013

Chapitre 01: Une inquiétude sournoise

« L’inquiétude présente est moindre que l’horreur imaginaire. », William Shakespeare

0.jpg07h30, mardi, 4 août. Sausalito, face à San Francisco.

Sausalito n'était plus la ville flottante que les hippies avaient investi dans les années 70. C'était devenu une ville au caractère méditerranéen BCBG occupée par des jeunes ou mi-vieux qui avaient fait fortune dans la Silicon Valley. Les prix des maisons étaient montés en flèche depuis que Mary et Bob avait acheté la leur.

Ce jour-là, c'était le premier mois de vie solitaire pour Bob, depuis que sa femme, Mary, l'avait quitté pour un bellâtre ou un gars plus fortuné que lui et qu'il n'avait jamais vu pour permettre de comparer ses avantages vis-à-vis de lui-même. Enfin, c'est ce qu'elle lui avait raconté.

Il s'en souvenait comme si c'était hier. C'était au soir de la fête nationale du 4 juillet. Il ne se souvenait pas à partir de quoi, entre Mary, son épouse ou lui, avait commencé la dispute, les hostilités, ni quel était le sujet de départ. Mais, à la fin, Mary avait claqué la porte après lui avoir dit "Je te quitte. Je connais quelqu'un qui ne sera pas aussi con que toi".

Soufflé, il était resté sans bouger, sans plus rien pouvoir ajouter. Elle avait décrété qu'il était temps pour elle, drastique, de changer de crèmerie et de vie. Il l'avait vu partir et revenir le lendemain pour prendre ses affaires de premières nécessités. Puis, ce fut tout. Le rideau était tombé. Il n'avait rien vu venir.

Il est vrai que les disputes étaient devenues de plus en plus fréquentes, depuis quelques temps. C'était évident pour n'importe qui d'autre mais pas pour Bob qui les considérait comme normales dans un couple qui n'était pas de la prime jeunesse. 

Il avait depuis, lui aussi, changé son rythme de vie. Le stress qu'il ressentait avant, était devenu plus fragmenté, filtré par une certaine désillusion. Une paix solitaire, parfois salutaire, parfois humiliante aussi. Son instinct de mâle le rongeait bien plus, aujourd'hui. 

La maison était, très certainement, moins entretenue qu’auparavant. Son épouse, Mary, s'en chargeait sans rien dire, mais il s'en était foutu royalement avant ce départ inopiné. Une femme d'ouvrage passait, depuis quinze jours, une fois par semaine pour effacer difficilement les affres que laissait un homme seul. Les repas, il ne les préparait même pas plus couramment qu'avant. Souvent, par sa profession et ses fonctions, il mangeait à l'extérieur. Un restaurant payant du soir était venu seulement ajouté une couche supplémentaire plus souvent que de coutume.

Oublier le passé, recommencer sa vie, il n'y pensait pas encore. Trop tôt. Toutes les images lui restaient trop en mémoire. Les femmes, depuis, il s'en méfiait comme de la peste. Très vite, le travail l'avait sauvé. Il s'en était saoulé pour "manger" son temps plutôt que de le vivre. Il s'en rendait compte, mais c'était la vie qu'il s'était choisi en rangeant son esprit dans un "ailleurs" moins douloureux quand cela s'imposait. Une sorte de lâcheté, en quelques sortes.

Bob avait un fils qui travaillait à New York. Marié à une épouse qui allait avoir un bébé incessamment. Il restait sans nouvelles ces derniers temps. Cela l’agaçait plus qu’il ne le laissait entrevoir dans leurs rapports. C'est vrai que son fils avait aussi un temps très chargé et un job qui le lui prenait mais il ne pouvait pas se sortir de la tête qu'une exception comme celle de planifier un moment pour lui présenter son petit-fils, dès son arrivée sur Terre, aurait dû lui venir à l'esprit. Cette période de solitude rendait Bob encore plus avide de nouvelles.

Comme toujours aux États-Unis, en bon chrétien, le traditionnel « Merry Christmas », était prévu pour la rencontre avec la présentation du bambin, et ainsi réparer le manque à gagner en relations humaines. Rien d'exceptionnel à cette situation. Entre la dinde farcie et les sourires entendus, l'habitude héritée d'un passé dont on oublie tout, arrange bien les esprits déshérités. Le malheur c'est que la Noël était encore loin, même si tout était déjà planifié de manière implicite, par écrit, comme chaque année. Le réveillon, cette fois, ce serait chez papa et qui sait, le lendemain chez maman, si rien ne s'arrangeait dans son couple avant ce changement récent. Plus proche de son fils, son ex devait probablement l'avoir accaparé au téléphone depuis quelques temps. Une mère parvient toujours à mieux s'immiscer dans la vie d'un fils qu'un père. Cela fait partie des gènes d'une femme. Il ne se faisait aucune illusion.

Une fête réconciliatrice entre elle et lui, Bob n'y croyait pas. Pour lui, c'était, toute l'année, travailler sans jamais réfléchir à autre chose qu'à ce qu'il faisait, au moment où il le faisait et au besoin, combler les trous et en constater les déchirures. Les mois qui précédaient, il se savait ne pas être assez à la maison et il le déplorait sans plus, aujourd'hui. Comme il considérait que ses déboires conjugaux ne devaient pas altérer la vie de son fils, ce n'était que très tard, qu'il avait osé les mettre au courant de sa séparation, de la nouvelle tenue de sa vie, sans parler de divorce. Pas encore...

"Un américain est libre et il doit assumer au besoin en silence", se disait-il.

Ce matin-là, il ne savait pourquoi, mais Bob ne se sentait pas autant pressé d'aller travailler que d'habitude même s'il avait dit le contraire à n'importe qui, qui lui aurait posé la question. Il avait mal dormi, mais bizarrement, il se sentait plus frais que s'il avait passé une nuit entière de sommeil.

Un café, pris plus fort que d'habitude, probablement. Il en prenait toujours un avant d'enfiler un déjeuner rapide, mais il s'était servi une double ration pour l'occasion après ce réveil laborieux et cela avait agi comme un booster, quitte à le stresser au maximum.

Cela faisait une vingtaine d'années qu'il travaillait dans une multinationale qui produisait des médicaments et des produits esthétiques. C'était travailler à la boîte mais pas à l'intérieur de la boîte. La liberté était sacrée pour lui. Une antenne administrative avait son siège dans deux étages du gratte-ciel America à San Francisco dans laquelle il se rendait très peu. Le maison mère était dans l'Etat de Washington.

Délégué médical, il préférait hanter les routes du matin au soir à la visite de clients chez les médecins et dans les pharmacies de la région de l'Ouest américain. Beaucoup d'hôtel et restaurants de la région n'avaient plus de secrets pour lui. Il aimait ces rencontres avec des médecins et les pharmaciens. Il s’enorgueillissait que les affaires marchaient relativement bien malgré la crise bien que celle-ci avait touché fortement bien des entreprises de tous les secteurs. Il avait commencé sa carrière dans les bureaux de la firme, mais les grands espaces l'avaient attiré comme l'aimant. Une place de vendeur ambulant s'était présentée et il avait sauté sur l'occasion.

Puis, comme tout allait bien, il avait gravi un premier échelon de management. Petit chef, responsable d'un service de quelques vendeurs pour une catégorie de nouveaux médicaments lancés après les derniers tests, l'agrégation et les demandes de brevets. Sa vie, après sa nomination, n'avait pas trop changé. Chaque trimestre, il réunissait les chiffres de ventes de chaque membre de l'équipe. Si cela ne lui plaisait qu'à moitié, que les résultats se révélaient en dessous de l'espérance, il avait trouvé quelques trucs pour adoucir son travail de statistiques en arrondissant les angles, comme il osait le dire. Les trimestres avec des résultats en surplus par rapport au quota, il les rabotait et reportait sur le suivant. Quand par malheur, ils restaient en perte, il s'arrangeait pour trouver des arguments en donnant des raisons conjoncturelles à ces maigres résultats. Les résultats trimestriels étaient, comme il le disait aux oreilles amies, un peu bidon mais il s'en foutait. C’était en fin d'année, en dernier ressort, qu’il parvenait à nouer les deux bouts pour que son quota annuel corresponde aux attentes. Le problème, ces derniers temps, il y arrivait plus difficilement.

Avec l'ordinateur, il avait des relations du type "je t'aime, moi non plus" comme peut être un ami obligatoire de circonstances que l'on rencontre quand on ne peut faire autrement. Vu son activité de nomade, pendant laquelle, souvent, il partait le lundi pour revenir chez lui le vendredi soir, il s'en accommodait sans trop de passions vu sa déjà longue carrière dans la boîte. 

Quelques amis étaient au courant de sa nouvelle vie solitaire, mais l'information était loin de s’être propagée. Les amis, qui savaient, étaient plutôt ceux de Mary.

Ses propres amis, il les avait construit en mission, sur la route ou dans un hôtel de passage. Il s'était fait un point d'honneur de tenir sa vie privée en dehors de sa vie publique. Pour ses collaborateurs, c'était le blackout au sujet de son côté privé. 

Il n'avait donc eu aucun secours moral d'aucun des membres de son équipe. Les amis de son épouse en moins, il se retrouvait souvent seul à philosopher. 

Les premiers jours, il avait broyé du noir sur toute la ligne, mais en silence comme un artiste qui se devait de faire bonne figure comme le soir de représentation après avoir appris la mort d’un proche. Cinquante-deux ans, il était trop tard pour envisager de changer des habitudes ancrées, trop tôt pour penser à la retraite.

Depuis sa séparation avec sa femme, la douleur s'était estompée et le sourire reprenait son office de maquillage. A certains moments de solitude à la maison, les images du passé revenaient et les larmes coulaient. C'était surtout le cas, quand il reprenait les photos, les albums, les vidéos et revenaient sur la table. Celles qui pendaient sur les meubles ou au mur avaient été enlevées et avaient laissée des zones plus claires.

Tout engendrait, insensiblement, sa volonté de déserter la maison.

Ce qui l'avait distancé de son épouse se limitait à peu et à beaucoup de choses, à la fois.

Pour lui, le travail représentait une espèce de plaisir retrouvé dans le hasard du "public relation" d'occasions, auprès de ses clients et de ses prospects. Bob avait des goûts très basiques, en définitive. Très peu de choses pouvaient le satisfaire. A la maison, il avait compris que tout ce qui était interne à la maison avait un chef et un seul, son épouse. 

Comme il gagnait suffisamment pour deux, son épouse, Mary, aurait pu rester comme femme de maison. Elle avait choisi de travailler. Elle l'avait fait au début de leur mariage à la naissance de son fils. Puis, une envie de s'en évader vint et il l'avait laissé décider. 

Pour elle, son boulot était un moyen de satisfaire ses moindres désirs et une force de montrer qu'elle ne dépendait pas de lui. Elle avait énormément de goût mais souvent ses goûts s'harmonisaient avec des dépenses exorbitantes qui faisaient disparaître beaucoup d'espoirs d'assouvir les plus essentielles. Ses goûts, elle les utilisait dans son métier dans le design moderne. Elle revenait souvent à la maison avec de nouvelles découvertes quelle avait faite dans le "frog design". Bob, pour lui faire plaisir, les lui vantait en faisant semblant qu'il appréciait. 

Mais, à l'extérieur, dans la vie active, les vraies crises économiques avaient touché, en cascade, toutes les classes de la société, tous les secteurs d'activité. Réduire les coûts existait jusque dans la volonté des gens de ne plus passer par l'essentiel, par les soins médicaux, de ne plus coudoyer de médecins ou de pharmaciens qu'en dernière limite. Les assurances devenaient de plus en plus chères. A part, les avocats d'affaires et de divorces, seuls les croque-morts ne connaissaient pas la crise dans leur entreprise. Souvent, on entendait des publicités qui parlaient de succession, post-mortem malgré le prix élevé d'un passage sur antenne de la radio.

Pour Bob, les quotas de ventes, tout comme les bénéfices, n'étaient plus jamais dépassés que par un pourcentage au ras des pâquerettes.

Les médicaments qui faisaient la gloire de l'entreprise, tombaient dans le domaine public à l'échéance des brevets. Il fallait sortir toujours de nouveaux médicaments alors que les anciens étaient considérés comme dépassés, obsolètes.

Lui ne faisait, bien entendu, pas partie des concepteurs des projets des pharmaciens et de nouveaux médicaments. Il ne faisait que remonter les desiderata, les feedbacks des clients qu'ils lui apportaient. Ce qu'il en était fait ensuite, ne lui regardait plus. D'énormes investissements avaient été consentis à la recherche du sida, du syndrome d'Alzheimer. Les maladies dites orphelines, pas assez rentables, n'intéressaient plus la corporation depuis longtemps. Entre le moment de la découverte d'un médicament et sa commercialisation, il se déroulait toujours dix années d'attentes. La consommation du produit dans le public se révélait comme un succès de la recherche ou un échec cuisant suite à un effet secondaire qui n'avait été évalué que sur un échantillon restreint de volontaires.

A demi-habillé, il alla quérir le courrier dans boîte postale. Une bien jolie boîte, au devant de la maison, un souvenir de plus, un desiderata de Mary, qui avait pour but de montrer les jours heureux au facteur et à l'entourage. Dépense nécessaire, disait-elle, comme si la boîte aux lettres était quelque chose de représentatif du contenant et de ce qui se passait à l'intérieur de la maison.

Un achat, encore une folie de Mary qui avait généré une dispute.

- Tu ne te rends pas compte qu'une boîte aux lettres représente la vitrine de nous-mêmes ?

Alors, il sortait. Fuyait. Puis, cédait une nouvelle fois, sans rien dire avant de se réfugier dans un mutisme pensif en s'asseyant sous la véranda en verre. Il regardait devant lui. Se lavait de toutes les idées sulfureuses ou carrément noires, en attendant que l'orage interne se termine. Il savait qu'il ne parviendrait pas à la contredire. Il se convainquait. "Bien sûr qu'une boîte aux lettres est la vitrine de ce qu'on voudrait montrer de soi", se disait-il. Le problème pour Bob, c'est qu'il ne voulait pas montrer qu'il lâchait prise.

Les voyages, une autre source de disputes. Pour Bob, les jours de vacances se résumaient à se retrouver à la maison. Il avait tellement voyagé pendant ses activités commerciales qu'il voulait se reposer, renouer avec la famille. Pour les vacances courtes en générale, Mary, après avoir hanté les bureaux, aimait les voyages lointains à visiter le monde, de ville en ville avec le plus grand plaisir. Le Mexique était son exotisme préféré.

Malgré les années, elle avait gardé son charme d'antan et connaissait la technique pour arriver à ses fins. Le bling-bling en faisait partie. Un lifting avait dégagé les rides naissantes. La boîte aux lettres, elle la réservait aux factures, aux prospectus de publicité. Les lettres importantes passaient toutes par l'intermédiaire d'Internet.

Cette fois, Bob l'ouvrit lui-même, cette boîte aux lettres qui avait occasionné tant de discussions. Des deux mains, il compulsa le courrier, une lettre après l'autre défilait avant d'être déposée dans un tiroir ou jetée dans la poubelle qui jouxtait la "merveilleuse" boîte. Rien de bien dangereux à première vue. L'une des lettres attira son regard avec les sigles de l'entreprise qui l'employait. Il l'ouvrit sur le champ en déchirant l'enveloppe.

Cher Monsieur Robert Manson,

Pourrions-nous nous rencontrer un de ces jours dans nos bureaux.

Nous aimerions nous entretenir avec vous de l'avenir.
Bien à vous

John Marcovitch

H.R. Director 

"Plus laconique, que cela, tu meurs", pensait Bob. "De l'avenir" ? Qu'est-ce que cela sous-entendait ?

Marcovitch, oui, il se souvenait du nom du nouveau patron du département Human Ressources. Un quadra en phase terminale, bon chic, bon genre qu'il avait vu en photo dans la revue mensuelle de la boîte, mais qu'il n'avait jamais rencontré physiquement.

Une réunion, une de plus ? Un nouveau produit qui devait-il être lancé sur le marché et qu'il allait avoir à vendre ? Une promotion ?

En général, il en recevait les spécifications envoyées par mail, avant d'en recevoir les instructions plus précises, avec les prix d'émission, suivie d’une présentation du produit dans les bureaux et dans les mises à jour du catalogue.

Alors pourquoi, cette forme de contact ? Pourquoi pas un coup de fil ?

Il prit la série de lettres restantes et en fit un paquet qu'il déposa dans l’alcôve du hall d'entrée de la maison.

Bob se sentait parmi les privilégiés du système américain. Mais, il votait démocrate en se rappelant de sa période d'étudiant et de la guerre du Vietnam.

La maison en bois qu'il occupait était petite mais jolie. Son environnement immédiat comprenait un petit jardin avec des fleurs qui commençait à flétrir en manque d'eau et qu'il entreprit d'arroser. Une vue lointaine sur la mer, lui permettait de rêver. La maison respirait le calme, d'ailleurs. Elle avait un certain luxe bourgeois qui ne se laissait pas entrevoir de l'extérieur. Tout cela constitué, organisé, sérié, depuis des années, par Mary.

Ce jour-là, le ciel était gris. Du brouillard passait et camouflait alternativement des parties du paysage, puis se découvrait pour laisser, plus longuement, entrevoir l'horizon. Rien d'anormal pour la saison. Le Golden Gate est bien connu pour être perdu dans la brume sur les photos des cartes postales.

Une voix dans son dos le fit sortir de ses pensées.

-Salut Bob, bien dormi ?, entendit-il.

Le voisin l’avait vu sortir et voulait entamer une petite conversation qui depuis longtemps, avait été interrompue.

-Pas trop. Je suis un peu stressé ces derniers temps. Désolé, mais je n'ai pas beaucoup de temps à t'accorder. Je l'admets, je suis vraiment un très mauvais voisin. On devrait se téléphoner plus souvent et on devrait passer une soirée ensemble pour rassembler les moments perdus.

Il ne l'avait pas fait plus tôt car il ne voulait pas ressasser une nouvelle fois toute l'histoire, la raison de sa solitude.

-Bonne idée. Je dois avoir ton numéro de portable dans mon agenda. Nous avons certains points à discuter, pour diminuer les frais d'entretien de nos deux jardins. Je te laisse à tes occupations puisque tu es pressé. A plus...

- Merci, pour le comprendre. A bientôt. Téléphone-moi quand tu peux et quand tu veux.

La conversation s'arrêta là et il rentra.

Pourquoi avait-il coupé la conversation avec son voisin ? Bob le regrettait déjà. Il n'était pas pressé. Un faux stress ? Un besoin d'aller toujours plus vite ? Trop vite ? Il n'en trouvait aucune autre raison. Il n'avait pas d'horaire à respecter, seulement un quota à respecter, un chiffre d'affaires partiel du troisième trimestre qui entrerait bientôt dans les résultats de la société.

Ce qu'il avait à faire, peu de choses. Dérouler la "check list" d'actions à prendre pour un matin commença. Consulter ses mails sur son PC. Écouter d'une oreille distraite la radio ou la télé. Voir si l'équipe avait des problèmes et chercher à y remédier, parfois y répondre, allait prendre encore une demi-heure.

Pas de visites urgentes à faire auprès d'un client. Il décida de passer au bureau avant toutes choses naturelles à sa mission. Marcovitch l'avait appelé et il irait, donc, ce matin à San Francisco. Il n'allait pas lui téléphoner puisqu'il l'avait voulu ainsi.

Il avait une petite demi-heure en voiture pour arriver ua bureau. Il laissa la clé sous le paillasson comme il en avait l'habitude du temps où son fils aimait la retrouver.

La vieille MG rouge dont il ne se séparait jamais, était au garage. C'était son seul luxe. Sous le capot, c'était le troisième moteur. Quant à la carrosserie, il la bichonnait comme un bébé. Il aimait que l'on se retourne sur elle, à la suite du ronronnement qu'elle faisait.

Il s'y inséra sous son plafond bas. Elle démarra comme une horloge dans un ronronnement assez caractéristique qu'il aimait entendre.

Tout devait aller bien. Une belle journée. Il faisait doux.

Pourquoi s'inquiéter ?

Le problème, c'est que les apparences sont parfois trompeuses.


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12/01/2013

Chapitre 02 : Une journée mortelle

"La tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin", André Malraux.

0.jpgPartant de Sausalito, une route qui longeait l'océan avant d'arriver au Golden Gate, il y avait le "National Recreation Area".

Dieu sait s'il la connaissait cette route pour l'avoir empruntée de multiples fois. C'était presque du pilotage automatique pour sa voiture MG rouge.

Arrivé au Golden Gate, comme souvent, il se retrouva dans un brouillard épais.

"Tiens, le prix de passage avait encore une fois changé depuis son dernier passage. Plus de six dollars. Cela devient cher", se dit-il presque instinctivement en passant devant le locket du péage.

Le paysage était fantomatique. Rien n'apparaissait en entier. Pas de jambes ou pas de tête. Le pont qui semblait suspendu dans les airs.

La pointe de la pyramide du bâtiment "TransAmerica Pyramid", où il avait la société qui l'employait avait son antenne administrative, semblait se pendre dans l'espace, attachée à des fils de mystérieux marionnettiste avec une force surhumaine. L'île d'Alcatraz, il la savait à sa gauche, dans la baie, mais elle était totalement invisible.

Le "Golden Gate" avait été repeint à l’occasion de son 75ème anniversaire qui devait être fêté bientôt. Pour Bob, c’était la plus belle porte d’or qu'il connaissait. Souvent, il l’avait empruntée lors de joggings, très sportif dans sa jeunesse, du temps où il allait à l'USF, l'Université aux valeurs jésuites de San Francisco. Que de fois, avait-il fait le marathon... 

Au milieu du pont, les yeux fermés, il s’arrêtait, alors, pour sentir le vent, à soixante mètres au-dessus des flots avec les nuages qui semblaient donner du mouvement à bord d'un vaisseau fantôme. Une impression de liberté, à nul autre pareil, s'éveillait alors en lui. Irréalité qui disparaissait en voyant, des ouvriers qui s’affairaient au-dessus de lui. Rien qu’à les voir suspendus dans le vide, pris de vertige, il ressentait des fourmis entre les jambes.

Sans ce vertige, il aurait aimé être à leur place et peindre pour fusionner les couleurs ocres. Il planifiait de peindre tout cela, un jour, au pinceau sur une toile. Un rêve de retraité, probablement.

Cette fois, l’ocre du pont et la ville blanche tranchaient en couleurs pastelles avec le capot de sa MG d'un rouge saturé. Comme on ne voyait pas à dix mètres, il traversa le pont, plus doucement. Le buste du constructeur du pont, Joseph Strauss, arriva, à sa gauche, sérieux, mystérieux, figé dans son costume trois pièce de métal. Parfois, la Baie transparaissait au travers des nuages, lentement dissipée par couches successives quand le soleil se prêtait au jeu de cache-cache. Des reflets étranges s'ajoutaient alors à cet ensemble qui se reconstituait de proche en proche à la poursuite du vent.

Aujourd'hui, assagi, cela faisait seulement quelques mois, qu'il n'y était plus passé et l'enthousiasme de revoir la ville, lui reprenait.0.jpg

Il s’engouffra dans la ville. Une nouvelle éclaircie laissait entrevoir et ce furent le Presidio, le Fisherman's Warf, le Pier 39 sur le port qui avaient été le cadre de tellement de films, qui revivaient en pleine activité.

Tout de suite, les collines avec des pentes raides obligeaient à changer de vitesse de la voiture. La Lombard Street, en lacets, étroite, en allées et retours successifs, tellement célèbre, il ne l'emprunta pas. Cette rue, même si elle restait dans toutes les mémoires des automobilistes de passage et sur les photos des touristes, l'emprunter aurait été un détour.

San Francisco, Cisco, comme on l'appelait, il l'aimait. Il n'y était pas né, mais il y avait passé plusieurs années dans sa jeunesse. C'était toujours une ville où le piéton a droit de cité où les voitures se réservaient uniquement les grandes artères du centre de Down Town. Une ville de creux et de bosses, avec des noms de "Valleys" et de "Hills" entrecoupés de "sunsets". Une ville qui aurait pu ressembler à une ville d'Europe s'il n'y avait pas eu les "cable cars" comme moyens de transport commun. L'un d'entre eux lui boucha la route pour la remontée à partir du port. Son arrivée, on aurait presque pu la ressentir par le tremblement du sol. Deux autres attendaient leur tour et faisaient le plein de touristes avant de franchir la remontée vers le centre de la ville.  

Il y avait aussi des charrettes couvertes avec chacune, un cheval qui attendaient les touristes. En chapeau boule et jaquette noir, ces promeneurs de touristes avaient fière allure. Ici, pas de petits trains pour faire la visite de la ville comme dans tellement d'autres plus planes. Les déclivités l'empêcheraient très vite. Tellement de films d'actions avaient pris l'habitude de montrer les voitures qui à grande vitesse, plonger sans plus toucher le sol, dans une descente. Les problèmes pour suivre une vitesse continue énervaient les embrayages des voitures. 

0.jpgPlus loin encore, Downtown. Castro, le quartier où l'on rencontrait le plus d'homos. La monotonie pour les habituels travailleurs qui ne prenaient plus le temps de regarder autour d'eux, trop pressés de regagner le boulot. China Town, à droite, précédée d'une porte en forme de pagode, ornée d’enseignes lumineuses avec une odeur du hot dog, mêlée à un plat chinois, qui flattait les narines. Un autre monde qui rencontrait l'Amérique. Un pianiste de rue avait entamé un morceau de jazz sur le trottoir et exerçait son pouvoir d’attraction sur quelques touristes en créant un attroupement. Il avait remarqué que plus de porches de gratte-ciel étaient squattés par des sans-abris pendant la nuit. Ce n'était pas récent. Mais, ce n'était plus seulement des clochards.  

Broadway était endormi, à cette heure. Elle se réveillerait à la nuit tombée, avec ses vices cachés, classés par catégories, du "soft" au "hard". 

Union Square avec ses maisons repeintes à intervalles réguliers avait fait place à de hautes tours, chacune avec leur nom propre. Dans les hauteurs, les maisons victoriennes en bois de séquoia, colorées de bleu et de blanc, les "Painted Ladies", il adorait. Mary avait voulu sortir de la ville, sinon, il aurait cherché à y habiter. De là-haut, un panorama à ne pas rater pour tout photographe en quête de contrastes, par temps clair. Des maisons de style d'un autre temps, en avant plan et les gratte-ciels en toile de fond.0.jpg

Mais, Mary avait raison. Il n'y avait pas photo, Sausalito avait un avantage indéniable sur la ville avec ses airs méditerranéens, ses palmiers et ses maisons qui n'avaient qu'un ou deux étages maximums. La compétition avec le centre-ville ne faisait pas le poids.

L’excitation de ce matin s'était dissipée pour faire place à la lenteur des embouteillages.
« Embouteillage » voilà le mot qu'il avait appris à connaître à contre-sens.
A ce rythme, cela lui donnait encore dix minutes encore dans la vue avant d'arriver au parking de sa société à l'étage -2 des visiteurs.
Embouteillage pour monter jusqu'à l'étage de la société. Malgré les dix-huit ascenseurs, il attendit son tour avant que l'un d'entre eux se décide à reprendre la remontée. Il était déjà chargé par les étages inférieurs et remontait ses 48 étages.
0.jpgArrivée au 2ème étage. L'enseigne « Pharmastore » apparu.
-Tiens, voilà, Bob, fit la réceptionniste de derrière son bureau.
Tout le monde l'appelait Bob, même si son prénom de Robert apparaissait sur ses papiers officiels et sur son passeport.
Cela faisait déjà bien longtemps qu'il n'était pas venu passer quelques heures aux bureaux. Sandy avait aussi usé ses jupes à cette même place. Il n'y avait plus beaucoup de personnel, à avoir un bureau personnel. Un business centre avec des places à réserver quelques jours à l'avance, remplaçait les bureaux réservés aux employés sédentaires. La coiffure de la standardiste avait changé et il avait eu de la peine à la reconnaître.

-Bonjour, Sandy, cela fait un certain temps, en effet. Cela te va bien les cheveux blonds. C'est Marcovitch qui m'a fait demander. Convoqué sans me donner les raisons. Est-ce qu'il y a d'autres personnes dans la salle de réunion ? Est-il là ?

-Oui. Il est là. Non, pas d'autres personnes convoquées dans la matinée. Si tu veux, je l'appelle pour voir s'il est disponible pour te recevoir. Tu sais, ces derniers temps, il est fort occupé. C'est la première fois que tu me vois en blonde ?

-Oui, Sandy, et je répète, cela se marie très bien avec tes yeux. Ok, vas-y, appelle-le.

Bob, en entendant les mots de "fort occupé", se demandait "à quoi ?". Que faisait un chef du personnel de ses journées ? Il s'en souvenait parfaitement du temps du prédécesseur de Marcovitch qui arpentait souvent les couloirs de la société. On l'avait appelé "radio corridor".

Sandy pris le téléphone intérieur et appela le poste du manager HR. Bob ne prit pas le temps d'écouter, trop pris à regarder autour de lui. Il se déplaçait dans la pièce pour se familiariser au décor qui avait changé depuis sa dernière visite.
Sandy reprit la parole.

- Bob, il t'attend. Tu ne sais peut-être plus, c'est au fond du couloir, après le business centre, avant dernière porte à gauche.

- Merci, Sandy. Je n'ai pas à prendre l'escalier de service, ni ascenseur, c'est déjà ça. 

Il entendit à peine la réponse de Sandy alors qu'il était déjà dans le long couloir. 
Là, une porte de couloir avec une plaque qui annonçait "Bureau de l'administration de Pharmastore".

Les laboratoires de préparation des médicaments se trouvaient sur la côte est des États-Unis.

La porte franchie, il commença à lire les étiquettes qui se trouvaient à la gauche de chaque porte. "John Marrovitch", sur l'une d'elle. Arrivé.

Il frappa.

- Entrez, répondit une voix forte presque grave au travers de la porte.
Bob entra avec le sourire aux lèvres et la main tendue.

- Assied-toi. Bob. Nous ne sommes jamais rencontrés, non ? Comment vont les affaires ?

- Pas trop mal. Tu as raison, c'est notre première rencontre. J'ai planifié de visiter quelques nouveaux clients dans la région, cet après-midi, mais comme tu me demandais de passer, et que le bureau était sur ma route..., dit Bob.

Bob mentait. Le secteur de ces "nouveaux clients" était à l'opposé. Il était seulement intrigué et cela expliquait son changement de programme.

-Bien. Content pour toi. Et l'équipe, elle suit ta fougue ? Je te sers un café ? Du lait, du sucre ?

-Bien sûr. Merci, un complet. J'ai eu Phil, hier, au bout du fil. Il m'a envoyé son rapport de visites et tout semble aller pour le mieux, mais nous sommes encore au milieu de l'année, fit-il. 

Après de longues minutes, Marcovitch revint et finit par lui tendre le café de retour de la machine à café, installée dans une autre pièce.  John reprit le fil de la conversation interrompue. Trop fort, peut-être, le café avait un arrière-goût amère que le sucre ne parvenait pas à dissiper. Il n'eut pas le temps d'analyser la situation. Marcovitch avait repris la conversation.

-Si je t'ai appelé, c'est que nous sommes obligés de restructurer quelques départements.
« Restructurer », le mot à la mode, en période de crise, celui qui tinte à l'oreille comme sonne le glas. Pris de cours, même si les joues de Bob devenaient, insensiblement, plus rosacées, il ne répondit pas.

John repris la conversation.

- Tu connais le problème. Les affaires en Europe ne vont pas trop bien. La Corporation a déjà dû restructurer là-bas, mais elle nous demande d'éliminer quelques personnes du service de l'administration.

Bob sentait le piège se dresser à plein nez. Service de l'administration ? C4 en Europe. La vente en faisait-elle parie  ? Vu son âge, il devait être sur une liste noire quelque part. Peut-être des membres de son équipe? Pris de court, Bob, attentiste, ne parvenait toujours pas à ouvrir la bouche et John enchaîna.

- Tu es déjà quelques années dans la boîte. Tu n'es pas encore trop vieux. Il a fallu choisir. Tu coûtes relativement cher. Alors, vois-tu, nous devons nous mettre en règle avec la Corp et ton nom a été cité par le conseil d'administration.

La Bob sauta presque de sa chaise et faillit en tomber.

- Putain, tu veux me virer, quoi ? Mes quotas annuels n'ont pas été assez concluants ? On me vire alors que tout marche dans mon groupe ?, fit Bob éclatant de rage.

- Bob, je sais. Ne te fâche pas. Nous n'y sommes pour rien. Ne te mets pas en furie. J'ai contesté cette décision, c'est le conseil d'administration qui....

Bob connaissait bien ce laïus "ce n'est pas moi, ce sont les autres" et pris la parole à débit accéléré.

- Laisse-moi une seconde que je reprenne mes esprits. Je connais la musique. Ce n'est pas à un vieux singe qu'il faut apprendre à faire des grimaces. Et mes années de services, je suppose que cela ne compte pas pour des prunes ?

-Non, ne t'inquiète pas. Tu peux descendre à l'étage du dessous, ils ont tout calculé et tu vas voir qu'il y aura une prime supplémentaire qui t'es destinée. Petite, vu les circonstances mais cela pourra te donner plus de chance par la suite pour retrouver du boulot. Dès que tu auras signé, on t'enverra un mandat bancaire.

Bob, furieux, ne pouvait plus entendre la suite. Il ne fit ni une ni deux, sortit en claquant la porte, laissant Marcovitch, presque surpris, par sa réaction.

Il se dirigea vers l'étage du dessous. Un sourire sur le visage de John était sur ses lèvres. Peut-être, rien à voir avec du sarcasme d'ailleurs, mais Bob ne put le voir, il était déjà sorti.

- Salut Bob. Ça va ? fit la petite blonde dont le bruit de la porte et la force avec laquelle Bob l'avait poussé, se rendait compte qu'un drame s'était passé.

- Je crois, oui. Mais, j'ai connu des jours meilleurs", répondit-il sans donner plus de détail à la première venue.

"Ah la vache. Il m'a viré.", pensait-il, sans prononcer les mots en s'éloignant. Il ne voulait pas la mettre au parfum. Ce genre d'information arrive tout seul et reste en vase clos.

Bob n'écoutait pas et continua sur sa lancée en ruminant en interne.

"Juste quand j'avais des clients à visiter. Ils m'entendront lors de ma visite. En une minute, une carrière, une vie, tout est expédié. Plus de vingt ans dans cette foutue boîte avec une rentabilité exemplaire. Tout est foutu en l'air. Je suppose que je vais pouvoir vider mon casier avant qu'un gentil soldat du feu ou de la sécurité ne dise gentiment, « Désolé, M'sieur, mais on m'a demandé de vous faire partir ».

Un rapide calcul. Vingt un an de services, cela devait faire vingt une semaine de fixes. Plus la prime habituelle pour ceux qui ont réalisé leur quota l'année dernière. Une participation aux bénéfices. Juste assez pour pouvoir et voire venir pendant quelques temps. Quelques bonnes années devant toi avec ton expérience. Hein, Bob.".

C'est vrai que cela faisait quelques billets de mille dollars bien mérités.

Bob, redescendu, lâcha avec un rire cacochyme et une bouche ricanant, en marmonnant à Lizbeth.

-Tu sais pourquoi je viens ? Je suppose. Tu me fais mon compte, comme à la caisse du supermarché, grande surface et je pars. S'il te plaît, retire-moi une petite avance sur la somme avant de verser le reste sur mon compte. Où dois-je signer ?

Il continuait de maugréer, à voix haute, n'y tenant plus.

Au rancart, comment est-ce que je vais pouvoir me reconstruire un avenir prometteur du même type ? Ils sont cons ou incompétents pour regarder ce qui se passe à l'extérieur. Trouver un nouveau job, à mon âge ? Ils connaissent tellement de firmes pharmaceutiques par ici ? Laisse tomber les marques de regrets et de sympathie. Je n'ai pas l'habitude de gerber et de pleurnicher.

Tout fut réglé en moins d'une demi-heure.
La blondinette, Lizbeth, n'ajouta rien et s’exécuta sans commentaire. Elle n'eut pas la chance de le voir partir. Elle avait compris le problème pour l'avoir connu de multiples fois dans le département HR. Rester muette en dehors des questions-réponses de son interlocuteur et exécuter les ordres étaient ses seuls soucis, non responsable et encore moins, coupable.

Il ne prit même pas l'ascenseur de peur de rencontrer d'autres personnes, d'autres collègues devenus des "ex" auxquels il aurait fallu répéter les mêmes paroles pour expliquer son état de fureur. Cinq étages à descendre à pied lui permettraient de réfléchir en décomptant les marches.

Le garage, la voiture et retour à l'expéditeur. Mais que diable était-il venu faire dans cette galère de grand matin ? Il aurait mieux fait de continuer ses visites chez les clients et aller voir Marcovitch, bien plus tard, dans un mois. Il aurait gagné du temps, un mois et de l'argent en plus.

Back home, sweet home. Au diable, la boîte.

Au volant de la MG, il ne parvenait pas à effacer les minutes qu'il avait passées dans le bureau de Marcovitch. Le passé revenait par bribes saccadées. Il avait manqué toucher un des murs du garage. La rage ne partirait qu'après beaucoup de temps et ce n'était pas encore le moment.

Lui n'avait pas voulu gravir les échelons de la hiérarchie comme on lui avait proposé. Il avait voulu garder sa liberté et ne pas avoir à aller toujours au même bureau à longueur d'année. Cela lui avait desservi. Loin des yeux, loin du cœur. Cela lui apprendra.

L'image de sa femme lui revenait, aussi, à l'esprit avec des épisodes plus que chauds.

Arriviste, elle, était tout le contraire de lui. Prête à tout pour obtenir quelques billets de plus ou une barrette plus éclatante à accrocher sur l'épaule dans l'escalade de la hiérarchie.

Il se rappelait même qu'elle lui avait dit dans un moment de colère.

-Tu es un raté. Tu ne veux pas t'investir et grimper dans la hiérarchie alors que tes collègues le font. Homme de terrain, mon oeil... Même pas un écran devant les yeux pour suivre l'actualité de ton entreprise. Cela ne t'intéresse pas. Monsieur est au-dessus de ces considérations matérialistes. Un homme de terrain s'efface de lui-même sans effusion de sang. Vivre sa vie, ton objectif, mais quelle vie ?

Encore, une fois, Bob n'avait rien ajouté à cette tirade dont il connaissait que trop bien, toutes les vicissitudes. Ce qui l'énervait, c'est qu'avec le recul, elle devait avoir raison. Ses parents n'avaient pas le même niveau de vie que ceux de Mary. Ils s'étaient sacrifiés pour l'éducation de Bob.

Aujourd'hui, les parents de Bob étaient décédés depuis une dizaine d'années. Il les revoit encore dans leur petit magasin de quincaillerie à l'enseigne "Where hard is nice", situé dans le quartier Castro. Son père, avec ses bretelles pour retenir le pantalon et la fine cravate de cuir avec une broche qui représentait l'université où il n'avait mis les pieds que pour voir son fils lors des remises de diplômes. Elle, à la caisse, souvent assise, affairée, attentive. Le magasin avait été vendu plusieurs années avant leur disparition, transformé en disquaire. Il se rappelait des années 80 pendant lesquelles, le sida décimait beaucoup de jeunes amis à l'époque.

Son épouse, Mary, il l'avait connue lors d'un déplacement. Elle était la fille d'un médecin de renom à Oakland. Plus jeune que Bob de huit ans. Entre eux, cela avait été le coup de foudre immédiat. Il s'était marié à Las Vegas à l'insu de tous, rien que pour suivre une envie de faire autrement que les autres. De Bob, elle avait aimé son indépendance, son teint hâlé, buriné par le soleil de cette époque, sa réserve d'histoires drôles qui la faisait rire et qu'il avait rassemblé en mémoire.

Pour Bob, c'était la coquetterie de Mary, sa finesse d'esprit, le fait qu'elle aimait ce qu'il racontait et aussi, comme de normal, son regard malicieux et ce qu'elle faisait pour lui faire comprendre qu'elle l'aimait.

Après cela, tout avait été très vite. Dès le mois suivant, les beaux-parents de chaque côté avaient admis cet état d'esprit moderne dans deux familles américaines plutôt puritaines typiquement américaine. Chacun avait trouvé que le couple était presque parfait physiquement et moralement et cela avait effacé les doutes.  

"Avec un tel ensemble intégré, on ne peut y faire longtemps opposition", se disaient les parents et beaux-parents. Le voyage de noce avait eu lieu en Californie du sud. La Sierra de Guadalupe à dos de mule. Une véritable aventure qui les avait enthousiasmés. Pendant quelques années, Mary et Bob avaient repris l'album de photos avec toujours des rires, qui suivaient le traditionnel "tu te souviens de...". Puis l'album n'avait plus quitté le tiroir où il était garé et les années étaient passées avec l'amour des habitudes et les douceurs qui s'effritent. 

Vendeur dans l'âme, il pouvait vendre n'importe quoi.  Plus rigolard que rebelle, aimé par son entourage, Bob avait gagné son diplôme universitaire. Ses blagues n'étaient pas réservées uniquement à Mary. Prospects ou clients avaient reçu une rasade bien ficelée de blagues de sa part. L'humour créait des liens, par-delà les objections et les hésitations. Des liens amicaux se créaient qui en affaires se terminaient par des contrats.

Mais à la fin, le couple se durcissait dans ses différences dans leurs conceptions de la vie. L'amour se détruit à force de citations répétées et d'options choisies.

- Tu m'emmerdes, Mary. A bas la routine. je n'ai pas un cerveau sur mesure pour me plier à tous tes sacrifices, avait-il, un jour, répondu en claquant la porte.

A bord de son bolide rouge, le volant d'une main, il se posa la question de savoir pourquoi il avait été pointé comme un gars à éliminer. Son passé commercial commença à le poursuivre. Qu'est-ce qui avait merdé ? Quelques affaires revenaient en mémoire en séquence. Il y avait bien ce contrat qui avait foiré et n'avait pas été considéré comme rentable pour la boîte. Il n'était tout de même pas responsable et si oui, pas le seul, des suites de cette affaire, se disait Bob.

Pendant son survol de retour sur la route, tout cela défilait dans sa tête, dans un désordre indescriptible. Survol parce qu'insensiblement, il allait plus vite que d'habitude, en pressant le champignon.

Il avait dépassé le Golden Gate s'en même s'en apercevoir. C'est lui qui se trouvait dans un nuage ouatiné avec le paysage. Les deux bandes de roulages étaient plus dégagées au retour qu'à l'aller, ce qui lui permettait encore plus de vitesse. La route sinueuse ne lui fut pas plus un ralentisseur. Depuis le matin, la brume avait rendu la route humide. Avec la pluie, encore, plus glissante.

Dans un élan de colère, il dépassa un camion et la double ligne blanche centrale. Perdu dans ses pensées, jurant entre des moments de colère, il fit ce qu'il n'aurait jamais osé entreprendre en temps normal.

Un camion arrivait droit sur lui. Il n’eut pas le temps de voir des appels de phares très puissants en sens inverse. Ils l’aveuglaient en plus. Une sorte de corne de brume lui tombait dans l’oreille, en même temps et lui glaça le sang d'effroi dans les dernières secondes.

Dans un réflexe instinctif, un coup de volant puissant pour éviter la collision et se rabattre sur la droite. En le faisant, il toucha le truck qu'il dépassait et qui ne sentit même pas le choc. Il perdit le contrôle.

L'embardée devenait inévitable, incontrôlable. La MG tourna sur elle-même, rebondit, fit un tonneau, avant de se lancer vers le bas-côté. Les coups commencèrent à se suivre en rythme accéléré et faisait penser Bob aux autos tamponneuses de la foire. Le dernier réflexe, pour une éventuelle chance quand la voiture s’élança vers le ravin, se protéger la tête et les yeux avec les bras. Un rocher avant le parapet. Puis, il ne sut pourquoi, il déboucla la ceinture de sécurité, ouvrit la portière et sauta avant le grand plongeon dans le ravin. Tout cela avait duré l'espace de quelques secondes. Ensuite, ce fut le vide, l’espace d’une dernière seconde, juste avant la chute. Bob roula en parallèle dans l'herbe en rebondissant pendant un temps qui paraissait des heures.  Au fond du ravin d'une vingtaine de mètres de profondeur, un bruit de ferrailles, de tôles froissées, lui parvint. Une lumière et une explosion. Il fut retenu par le tronc d'un arbre.

Bob se rendit compte qu'il n'avait plus que quelques secondes à vivre. Puis, ce fut le vile noir complet. Bob sentait qu’il allait mourir.

Peut-être l'était-il déjà.


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08/01/2013

Chapitre 03 : Un réveil bizarre

« Le réveil commence comme un autre rêve. », Paul Valéry 

0.jpgDes bruits. Des voix.

Le premier œil de Bob s’ouvrit avant l’autre. Un tour d'horizon, étroit, du bout des yeux.

Dans le lit, Bob pouvait voir une chambre toute blanche. Un baxter planté à côté du lit.

Pas d'autres lits que le sien. Rare d'avoir une chambre particulière.  Beaucoup de monde dans la chambre. Il ne parvint pas à se mouvoir. Il tenta de bouger les doigts. Pas sûr que cela marchait, puisqu'il ne pouvait vérifier en l'état de véritable momie, enrobée de bandelettes.

Le brouillard dans la vue s’éclipsait progressivement.

-Il a bougé, s'écrie quelqu'un à côté de lui et voilà tous les visiteurs qui se retournent ensemble vers le lit.
La surprise semblait entière autour de lui.

La mémoire lui revenait, bizarrement, assez vite. Trop vite, peut-être.

L'avait-on déjà mis dans la tombe ? La surprise, il la revendiquait surtout pour lui. Après l'accident, il lui avait semblé avoir traversé le miroir définitivement. Des images lui revenaient de cet accident. Le tragi-comique n'avait aucun droit de cité, cette fois.

Tenter, encore une fois, des étirements, de bouger le reste du corps, minutieusement, lentement. 

Non, impossible. Son corps ne répondait pas.

Suis-je paraplégique ? pensait Bob

Son épouse lui tenait la main, il la sentait, heureusement. Il avait pu lui répondre. Bouger les doigts, Ok.

Il sentait sa main, désormais, dans celle de son épouse qui la caressait. Ce n'était pas un mirage, il la sentait. 

Après ses surprises physiques, ce furent les surprises psychiques. 

A ses côtés, son épouse, donc, deux collègues de bureau, dont Phil, qu’il reconnaissait. Des anciens. Le voisin de la maison était là aussi. Puis, il y avait, plus étonnant encore, Marcovitch, tout sourire. 

"Là, cela devient folklorique. Suis-je arrivé dans le royaume de Disney ou parmi les magiciens d’Oz?", pensa-t-il.

- Et bien Bob, tu peux dire que tu nous as fait une de ses peurs. Tu as voulu jouer au cascadeur ? Tu nous reconnais tout de même ? Tu sors du coma après près d'un mois. Ne bouge surtout pas. On ne croyait plus te revoir vivant. Tu ne te rends pas compte comme on a pu être inquiet, lance la voix de Marcovitch qu'il reconnaissait à peine.

Les souvenirs étaient presque tous revenus. Il avait été viré de la boîte. En retournant chez lui, il avait rencontré plus fort que lui, un camion, un truck.

"Incroyable qu'il soit venu aussi, celui-là. Si je suis dans cet état, il en est, un peu, la cause, non ?", pensait Bob en fixant Marcovitch, sans bouger la tête.

S'il avait pu parler, Bob aurait lâcher une blague ou quelque chose du style :  "Mais on dirait que c'est vous qui êtes à plaindre. C'est moi qui ai dégusté ce poids lourd, je rappelle". 

Il fit seulement un "oui" par un clignement des deux yeux, mais ne répondit pas. La mâchoire lui faisait mal. Quant à bouger la tête, fallait pas y penser.

Un temps encore et tout deviendrait plus clair, pensa-t-il.

- Tu sais, il y a ton équipe qui va prendre congé pour venir te voir dans la semaine. Ils veulent venir pour te faire plaisir. Phil passait par hasard avant d'aller travailler et coïncidence, tu es revenu à toi. Nous sommes tous contents de te revoir dans le monde des vivants, enchaîne Mary.

Qui avait prévenu son épouse du drame ?

Marcovitch restait tout sourire, figé, sans plus rien dire. Après lui, tout de miel, sa femme qui l'avait quitté, la douceur personnifiée. 

"Elle devrait aussi avoir oublié la tendresse depuis qu'elle avait quitté la maison et voilà qu'elle revenait comme par miracle", objectait Bob en pensée.

Mais, ces seules pensées l'avaient fatigué. Les paupières lourdes eurent raison de Bob et il s’endormit en pensant que le monde des vivants apportera toujours quelques surprises à celui qui revient du monde des morts. Des surprises comme celles-là, cela lui avait bouché un fameux coin, trop lourd à analyser pour un réveil trop laborieux.

La morphine devait avoir eu quelques effets modérateurs pour contrecarrer la douleur car il ne sentait pas vraiment le mal que tous ses dégâts  corporels apparents avaient causé.

Dans son sommeil, des images du passé repassèrent pour confirmer ce qu'il avait vécu, mais au ralenti avec des couleurs inhabituelles.

Le truck avait pris la gueule d'une poupée gonflable en se déplaçant tout en prenant son temps.

Le ravin, devenu un espace verdoyant, sur lequel il rebondissait comme sur un matelas. Tout semblait avoir été nettoyé des avatars des vivants. 

Tout avait été étrange lors de son réveil. Ce qu'il avait entendu, l'endroit dans lequel il se trouvait. Les gens qui étaient chargés de le réveiller.

Le rêve se continuait comme dans un coma éthylique. Un paradis dans lequel des anges passaient. Cupidon qui lâchait ses flèches. Judy Garland, qui avait les traits de Mary, chantait en maîtresse des lieux enchanteurs. Des animaux parlaient entre eux. Ce qu'il entendait, étaient des plus subtils, tellement simples.

Et, Bob levait les yeux et il riait de ces couleurs pastelles qui enrobait son entourage.

"Comment le réel avait-il pu être autant complexe ?", se disait-il.

Le réel était trop fou. Il n'avait presque plus envie de le retrouver.

Ces visions idylliques lui redonnaient du baume au cœur. Il ne pouvait que se sentir aller mieux. Plus aucune envie de mourir, mais de continuer ce rêve. 

0.jpg

Le rêve, la manière la plus habile que la nature ait pu inventer pour effacer les ennuis des exilés de la vie. 

Entre temps, dans la chambre, ils se regardèrent et comprirent qu'ils n'avaient plus rien à faire de positif sur place. Un sourire imperceptible de Bob les incitait à l'imiter. Ils se concertèrent avant de prendre congé.

Contents, ils avaient eu la chance d'être là pour le premier réveil du miraculé. Le désastre avait été évité. 

Ils sortirent ensemble avec des paroles qui les réconfortaient l'un l'autre.

L'inquiétude, lors du coma de Bob, avait été trop longue.  

Le médecin avait prévenu qu'il n'avait subi aucun dommage fatal, alors qu'au départ, les dégâts physiques apparents, faisaient penser au pire.

Bob, sauvé, les autres soulagés, cela devait s'arroser. Ils allèrent à la buvette de la clinique.

Tout était pour le mieux.

God bless them all. 

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04/01/2013

Chapitre 04: Une convalescence de réflexions

« Une convalescence est comme un fruit qui mûrit... », Jacqueline Mabit

0.jpgQuelques heures plus tard, après son premier réveil, sans connaître au juste combien, peut-être le lendemain, Bob revint à lui. Ce fut le chirurgien qui était, cette fois, à son chevet.

- Bonjour, Monsieur Manson. Nous avons eu quelques difficultés à vous remettre en état, mais je vous assure que vous allez rester en vie. Vous avez l'art de vous mettre dans un état à faire pâlir d'envie, Ramses II. Rien de vital n'a été touché, un miracle. C'est plutôt l'explosion de votre voiture et l'incendie qui a suivi qui nous ont obligé de vous couvrir le corps de la sorte. Il y a eu quelques réparations à faire aussi, mais ne vous inquiétez pas trop. Ce n'est pas sûr que vous allez retrouver toutes vos facultés dès demain et sans efforts de votre part. Il vous faudra quelques rééducations, au paravent. De la kiné, bien sûr. Cela devrait sauver quelques articulations endolories. Mais, attendez quelques temps. Heureusement que vous avez eu la présence d'esprit de sauter de voiture, sinon vous ne seriez plus ici.

Bob eut presque envie de sourire, mais les lèvres ne suivaient pas son esprit. l avait de l'humour.

"Ramses IIUn chirurgien, expert en égyptologie, cela ne doit pas être courant", se dit-il. Lui, il en avait à peine entendu parler.

-Marta, ne laissez pas trop de visiteurs entrer chez Monsieur Manson. Il a besoin de se reposer. C'était beaucoup trop la dernière fois, dit-il.
L'infirmière, Marta qui l'accompagnait, opina de la tête sans répondre.

Une fois, le chirurgien sorti de la chambre, Bob commença à réfléchir au sujet de la visite dont il se souvenait lors de son premier réveil.

D'abord sa femme, qui se faisait aimante. Elle qui n'avait plus vue depuis un mois, qui avait claqué la porte, qui était proche de demander le divorce avant son accident.
Ensuite, Marcovitch qui faisait les yeux doux comme si rien ne s'était passé, comme le pouvait être un Samaritain de bas étage. 

Dans le royaume des faux-culs, il doit y avoir des empereurs en formation. Les collègues étaient les moins soupçonnables.

S'il avait pu bouger, parler sans problèmes, quelle attitude aurait-il dû prendre ? Devait-il réagir, bouder ou s'insurger ? Il n'en avait pas les moyens, donc, cela restera une question à se poser plus tard. Actuellement, il avait besoin de soins, de douceurs et de compassions. Il fallait continuer et entrer dans leur jeu et sortir de ses propres convictions. Il n'était pas à mène de contredire qui que ce soit ou de contrefaire leurs actions de bienfaisance en bons offices ou de « public relation ».

Feindre l'amnésie et laisser le temps au temps. Après il aviserait.
Une heure après, il reçut la visite de son épouse. Toujours aimante, attentionnée. Toujours le même manège de réconciliation qui ne semblait absolument pas forcée. 

- Comment vas-tu chéri ? 

Les lèvres de Bob essayèrent de remuer pour dire seulement, "bien" ou de sortir une feinte dont il avait le secret. A peine perceptible.

-J'ai apporté des fleurs. Cela mettra un peu de couleurs dans cette chambre trop blanche.

Elle passa encore une heure avec Bob et puis s'en alla. 

Le lendemain, comme il avait été prévu quelques autres collègues de son équipe vinrent à son chevet, solidaires. Étaient-ils curieux ou y avaient-ils un peu de solidarité avec lui ? Cela semblait sincère.
Ils lui racontèrent les dernières histoires drôles pour lui faire oublier les moments tragiques. Le mauvais caractère de quelques clients, un sujet favori. Ses lèvres bougèrent dans un demi-sourire pour leur faire comprendre qu'il n'était pas devenu idiot et pouvait les comprendre, mais que ses maxillaires ou zygomatiques lui faisaient mal.

Puis, les semaines passèrent. Ce fut une guérison lente qui commença. Lente, progressive et patiente. Bientôt, il put bouger, se mettre sur son lit. 

Recoller les morceaux. Le travail du kiné commença. Le reste de son corps apparut. Les dégâts n'étaient pas trop apparents.

Pour passer le temps devenu trop long, Bob demanda une télévision.

Les actualités du soir arrivèrent dans le programme de la télé, puis vint une émission-documentaire parla des évènements qui entouraient les élections américaines. Un détail lui frappa l'esprit. Le présentateur parlait de Pâques. C'est alors qu'il se rendit compte que tout ce dont il parlait, lui était étranger, qu'il ne se souvenait de rien. Le trou de mémoire. Il essaya de remonter le temps de sa mémoire. Plus de rien entre la Noël 2011, dont certains points lui revenaient et le départ de Mary en juin de cette année. Si ce qui avait suivi, il s'en souvenait presque de tout. Sa période de coma après l'accident ne pouvait pas lui laisser sans souvenirs de ce qui l'avait précédé. Pourtant c'était le cas. Le trou noir. 

Quelque chose clochait au niveau dans le timing de sa mémoire. 
Avait-il été zombie pendant une période plus longue que celle qu'il imaginait ?

Il n'y pensait pas, ce n'était pas dans son caractère. Bob n'était pas un fan des romans de fictions pour penser à un voyage dans le temps. S'il ne souvenait pas des évènements du monde, ceux qui lui étaient plus intimes, il aurait dû s'en rappeler. Même le pourquoi de l'abandon Mary du domicile conjugal l'avait quitté. Les élections pour le second mandat d'Obama bouchaient un peu trop les émissions de la télé. Il prit la zapette et éteignit la télé pour commencer à réfléchir.

Les bons sentiments à son égard de son épouse. L'attention de Marcovitch qui manifestait une joie de le voir vivant alors que normalement, suivant le timing de Bob, alors qu'il aurait pu se sentir si pas content de sa chute, au moins débarrassé de l'obligation de lui verser d'indemnités de dédits. Il semblait qu'il ne tenait nullement compte de son renvoi de la société. Bizarre.

Difficile de faire aussi vrai ou alors, c'était un parfait acteur qui avait raté leur vocation. Mary qui avait rejoint l'opération de bons offices et qui regagné la maison du couple et qui ne semblait pas parler de ce qui l'avait causé, comme si de rien n'était. Bizarre.

Son accident avait été banal et devait arriver tous les jours dans le monde. Le sien était dû à une colère mal contenue et il s'en souvenait. 

Il devait y avoir autre chose.

Un dérapage de mémoire avec effacement partiel.   

Une sorte d'Alzheimer temporaire avec un trou en son milieu, comme si son coma avait été morcelé pour lui, alors les mêmes évènements, plus récents, semblaient n'avoir jamais existé pour ses interlocuteurs. Un shift du temps. 

A partir de là, tout pouvait arriver. S'il jouait leur jeu, il pouvait dès lors reconquérir son épouse. Passer plus de temps avec elle. Prendre des vacances ensemble pour permettre pas de reprendre des conversations d'amoureux, transies par des années de solitude à deux. Le fait qu'il avait été viré pouvait disparaître de du même coup. Il semblait toujours faire partie de Pharmastore. Ce dernier point restait tout de même à confirmer et à réajuster complètement sur des bases stratégiques nouvelles.

Pourquoi ne pas les prendre le destin à revers et se construire un nouveau futur avec une vue antérieure même partielle, en entrant dans leur jeu?

La nuit suivante, Bob ne dormit pas un seul instant à réfléchir.


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