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01/11/2012

Chapitre 20: Épilogue à rebondissements

« Mon passé très présent rend mon futur imparfait », Laurent Baffy 

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L'après-midi fut morne, très morne. Peu de paroles. Une méditation continue, suite aux événements qui torturait Bob. Un sentiment de ratage magistral avec des moments fugitifs de responsabilité anxieuse. 

Une vision partiale et donc imparfaite des vérités. Une vengeance qui tournait mal. 

S'agissait-il d'une lâcheté puisque Bob était resté dans l'ombre sans s'exposé ?

"Non, une opposition constructive", répondait sa conscience.

Tout cela passait, mélangé, par l'esprit de Bob.

C'est alors, que le portable de Bob sonna.

La surprise fut totale. 

- Bob, c'est Thomas.

La voix de Thomas en parfaite santé, sans aucune faiblesse dans la voix.

Bob, suffoqué, en fut tellement surpris qu'il ne pût sortir le moindre mot de la bouche.

Thomas entreprit de tout lui expliquer sans attendre sa réaction.

Non, Bob, je ne suis pas mort, ni un revenant. J'ai compris très vite que j'étais suivi après notre rendez-vous. J'ai gardé une certaine nonchalance sans tenter de m'éclipser de cette filature. J'en ai fait part au FBI et ils ont pris la décision de me remplacer par un gars qui me ressemblait. Un cascadeur a été désigné pour prendre ma place après avoir échangé nos vêtements. C'est lui que tu as vu sortir des bureaux du FBI. Un hélicoptère a été envoyé pour suivre le cortège des voitures à ma soi-disant "sortie". J'y avais pris place. Oui, j'ai pu voir que tu faisais aussi partie du cortège des trois voitures. 

- Mais, j'ai vu la voiture plonger dans le précipice. Si ce n'étais pas toi, le cascadeur n'a-t-il pas été tué ? Je n'ai trouvé personne quand je suis sorti de voiture pour voir si je pouvais encore aider.

- Non. J'ai tout vu de ton désarroi quand la voiture a disparu dans le ravin. Tout avait été prévu dans l'opération. Prévenu de l'attaque, le cascadeur était sorti de l'habitacle de la voiture, en souplesse, avant de la laisser se diriger vers le précipice. Ils sont habitués à ce genre d'exercices. Si tu n'as pas encore été voir ces carambolages, je te conseille, les risques qu'ils prennent sont hallucinants.

- Si tu savais à quel point, je suis heureux de t'entendre. Et, les condoléances de ton journal ? Du bidon, aussi ?

- Rien que du bidon. Evidemment. Ce ne fut pas une course poursuite en voiture mais dans les airs. 

- Que s'est-il passé ensuite ? Je n'ai plus suivi le tueur. Il était loin quand j'ai repris mes esprits.

- L'hélico du FBI a suivi le tueur, avant de le dépasser pour le cueillir un peu plus loin.  Il a été appréhendé quelques kilomètres plus loin. Une souricière à la sortie d'un tunnel auquel j'ai assisté caché dans l'hélico. Ma fausse mort devait rester secrète. Ne plus m'inquiéter, m'écarter d'autres tueurs potentiels, était le but principal.

- Et ton journal et ton épouse, ils étaient au courant de tout cela ?

- Mon journal et Karin, ma femme, savaient et ont accepté de jouer ce jeu de dupe en suivant le conseil du FBI. Tu te rends compte que Karin, a dû peler beaucoup d'oignons pour paraître en pleurs (rires). Le tueur a été forcé de raconter une autre fin à ses commanditaires. Dire que l'opération de liquidation avait été un succès. Que le journaliste eût été liquidé et j'en passe...

- Là, tu me soulages. J'avais le complexe de t'avoir entraîné dans la mort avec cette histoire. Merci de m'avoir appelé. Un jour, nous allons fêter cela ensemble.

- J'y compte bien. Te voilà rassuré. Je te devais cela, mais n'ébruite pas encore la nouvelle de ma résurrection avant un certain temps. On te préviendra.

- D'accord. Comme d'habitude, comme j'ai perdu la mémoire, n'est-ce pas normal que je reste muet comme une tombe ? 

Ce mot de "tombe" les fit rire ensemble avant de se quitter.

Mary et Bob avaient décidé de quitter la maison. 

Ils voulaient, tous deux, oublier ce passé tumultueux sans prendre de risques. Faire un break avec le passé par des vacances de l'esprit. 

La chambre d'amis dans la maison des parents de Mary leur fut un gîte providentiel, tout à fait acceptable, pendant cette retraite.  

Bob avait pris des risques. Même s'il savait qu'il ne pouvait pas dépasser la ligne jaune, il l'avait franchie et s'était approché dangereusement de la rouge.

Son accident lui revenait en mémoire. Là, Bob avait été pris vraiment en défaut. Trop préoccupé par son licenciement, il n'avait pas été dans son état normal. Il avait eu son crash et l'avait subi sans connaître les raisons.

Cette fois, il savait et il s'était préparé et aguerri. 

Tout lui laissait un goût amer dans la bouche.

On l'avait trompé, lui, qui vendait des médicaments pour guérir.

Cette vie de bâton de chaise qu'il avait aimé, pourtant, lui restait, aujourd'hui, dans la gorge.

Il ne pouvait plus réintégrer Pharmastore et vendre des produits dont il doutait de leur utilité et de leurs, éventuels, vices cachés. La posologie des médicaments ne contiendrait, jamais, ce genre d'informations dans les effets secondaires. 

Recommencer comme chasseur de prime, pour réaliser un quota de fin d'année, comme avant, c'était terminé.

Regagner le bureau comme il le pensait en fin de convalescence pour fêter son départ, râpé.  

La cupidité du monde qui fait que la vie et la mort ne tiennent qu'à un fil. 

Il se sentait exclu et cette exclusion avait empiré progressivement.

Bob ignorait s'il avait raté quelque chose dans la vie qu'il venait d'achever. Il en avait quelques soupçons, mais, à quoi bon, on ne remonte pas le temps. 

Hors d'état de nuire, les associés impliqués de Pharmastore ne pouvaient plus rien contre Mary et lui-même. 

Jusqu'à quel niveau de la hiérarchie dans la société devait descendre les enquêteurs du FBI ? C'était leur problème, pas le sien.

Il avait envoyé sa démission par lettre sans beaucoup donner de raisons. Son équipe trouverait très certainement, un autre chef. Peut-être des candidats se pressaient déjà au portillon.

Sans boulot, brûlé pour la profession, Bob savait qu'il pouvait encore rebondir ailleurs. Dans le processus de résilience, il était à presqu'à mi-parcours entre l'engagement-défit et la relance. 

Changer ? Rebondir ? Pourquoi pas dans le domaine scientifique en tant qu'étudiant ? Un retour en arrière. 

Changer de vie après vingt ans de loyaux services n'était pas aussi facile qu'il pouvait le croire. Il n'était pas le seul à l'avoir fait dans cette grande Amérique où tout était et reste encore possible à condition de ne pas se poser trop de questions.

Un retour aux sources de son éducation. Retourner à ce pourquoi il avait été formé, jadis : les neurosciences.

Il devrait peut-être retourner sur les bancs de l'école pour se mettre à jour. Il s'en sentait la force et l'envie.

Il s'inscrivit à nouveau à l'université de San Francisco.

Quelques jours après, un article parut avec les noms des inculpés, dans une colonne du "San Francisco Chronical". Des inconnus pour Bob, pour la plupart.

C'est alors, qu'il tomba sur celui de Jim, son premier intermédiaire dans l'affaire. Il n'avait plus reçu de nouvelles de lui depuis son dernier coup de fil.

Comme chef des projets de développements, il avait dû être questionné par le FBI. Les agents l'avaient probablement cuisiné pendant des heures. Son inculpation n'était pas en relation avec MIND mais avec un projet précédent dans lequel il devait trouver des arguments pour s'expliquer. Les avocats devaient déjà avoir pris l'affaire en main. A eux de prouver l'innocence de leur client. Combien de temps allait encore durer cette affaire en justice ? 

Et, si Jim avait été impliqué dans une autre affaire laissée sous silence ? Il avait peut-être eu des remords de conscience et avait mis Bob dans le coup à la suite de cela ? Peut-être avait-il aussi changé son fusil d'épaule, dès qu'il avait été mis à l'écart du projet MIND.

Une sorte de représailles inversées, avec des arroseurs arrosés, se disait Bob.

A Noël, il montra le dernier article du journal à Mary. Il parlait de Thomas. Elle savait que Thomas était encore en vie. Avec sa sensibilité féminine, l'émotion était encore forte. Une somme d'émotions contenues trop longtemps, mélangées à un nouveau bonheur. Des larmes lui coulèrent sur le coin des yeux. 

Ils étaient dans la région du vin. Les parents de Mary en avaient des réserves en cave. Ils avaient bu quelques bouteilles et une euphorie s'était emparée d'eux.

Toute la belle-famille fut réunie autour de la grande table. Un arbre de plus de deux mètres de haut, avait été décoré. Quatre générations à table. Le mot d'ordre était de ne plus en parler de cette histoire. Thomas avait été invité aux festivités, mais il avait décliné l'invitation. Tout devait rester secret jusqu'à l'année suivante quand tous les auteurs auraient été interrogés, inculpés et jugés.

Le lendemain, il faisait beau. Un ciel sans nuages et une atmosphère très sèche.

Une situation assez rare pour San Francisco.

Le soleil parvenait à réchauffer l'atmosphère dans un hiver vieillissant.

Bizarre. Cela sentait déjà le printemps à la veille de Noël.

Bob invita Mary dans un bon restaurant qu'il avait connu, il y avait bien longtemps, un peu avant leur mariage.

Quelques jours après, Mary et Bob avaient tenté de connaître l'endroit où était enterré le programmeur qui se trouvait à la base de tout. Ils auraient pris l'avion s'ils avaient connu l'endroit et le bon moment.

A l'écart de la foule, ils seraient parmi les anonymes. Bob avait imaginé aller voir la veuve, un jour pour présenter ses condoléances. Il avait appris qu'il laissait une famille avec deux enfants derrière lui. Plus tard, peut-être... 

Bob n'avait été qu'un des maillons faibles dans le transfert des informations et pas à son origine.

Un cobaye, aussi. Mais, heureusement, encore vivant. Celui qui s'était avancé trop près de l'affaire, comme dans un vol d'Icare, s'était brûlé les ailes.

Bob ne voulait plus parler de cette affaire avant l'année suivante.   

L'affaire Pharmastore n'était pas résolue et jugée.

Après une telle publicité négative dont le journal de Thomas poursuivait la publication, la société Pharmastore ne s'en remettrait pas aussi rapidement. Des faillites, on en connaissait pour moins que cela dans d'autres domaines.

Ce fut presque le cas. L'année 2013, la société après avoir dégraissé le personnel administratif, après une chute de l'action en Bourse et elle avait été rachetée. Une fusion d'intérêts comme on pouvait le lire un peu plus tard dans la presse.  

La pharmacie avait certainement, encore de beaux jours devant elle, mais, cela devait se faire avec un contrôle de production plus efficace pour éviter les dérives.

Cette fois, les projets de Bob se fixeraient dans un futur postérieur.

Mais, pour l'heure, il avait à fêter sa vengeance au futur antérieur avec son épouse.

Un autre anniversaire arriverait dans deux mois, celui de leur vingtième anniversaire de mariage qu'ils avaient presque oublié avec ces péripéties. Une occasion, de plus, d'oublier ces derniers évènements dramatiques.

Dans le fond, Bob était content de lui. Il sentait qu'il avait eu de la chance. Son accident ne lui avait pas laissé de séquelles corporelles graves. Les cicatrices n'étaient pas visibles. Son accident avait permis de reconquérir son épouse. Il avait envoyé un grand coup de pied dans la fourmilière du "système" comme des points positifs qui surnage au-dessus d'un nid de coucous.

Être plus taxé qu'un pauvre, vu sa position de management, il en avait pris son parti, cela ne le dérangeait pas.

"Pour l'argent, on s'arrangera", répétait-il à Mary.

Dans l'esprit de Bob, qu'il aurait été viré, cela n'aurait été qu'un mauvais moment à passer. Mais, mettre en péril le secteur de la pharmacie dans son ensemble, il n'avait pu l'accepter. C'était se foutre du "système américain".

Pour Bob, la pharmacie faisait partie des progrès de l'humanité dans son combat contre la maladie, pas pour devenir une arme contre les hommes eux-mêmes. 

Les neurosciences étaient un autre paradigme de l'impérialisme américain. Cette science devait tendre à expliquer la morale, la religion, la politique à partir de l'étude du cerveau. Tout un programme dans lequel intervenait la vieille querelle entre le cœur et la raison. Il resurgirait ainsi sous la forme des émotions irrationnelles en compétition avec ce diable de raison.

Ne pas chercher à comprendre, renoncer à poursuivre le progrès par le bon bout de la lorgnette, serait de toute manière se condamner à ne jamais sortir du "système" et en périr en définitive.

Il pensa retrouver les ténors des neurosciences. Prendre contact avec eux. Arthur Shapiro, Olivier Sachs, Antonio Damassio, Eric Kandel et d'autres dont il se souvenait avoir été condisciples à l'université. 

Il était arrivé au stade où la vengeance se perd entre ce qui est antérieur et postérieur. Quelle importance d'ailleurs ?

Mary et lui allaient vivre leur futur ensemble tout en le conjuguant au présent. Cela seul comptait.

Ils savaient maintenant qu'à bien y réfléchir, le présent était bien suffisant pour vivre.

Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes dans ce pays d'extrêmes.

"J'ai longtemps cru que la mémoire servait à se souvenir. Je sais maintenant qu'elle sert surtout à oublier" disait Pierre Chaunu.

Bob pensait de même. Il mit un vieux disque sur la platine. La voix de Louis Armstrong sorti des baffles "What a wonderful world". 

Il invita Mary dans une danse langoureuse.

"God bless America" once more.

 

FIN

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